Articles de presse sur les Pixies




Par Emmanuelle Debaussart
Best #266, Septembre 1990

Les Pixies étaient inclassables, indomptables, fous et tapageurs. Après quatre albums, soit on s'est habitués à leurs humeurs grinçantes, soit ils se sont calmés, mais on entre dans ce Bossanova sans aucune difficulté, et l'effet de surprise en moins, reste le plaisir immédiat : quatorze morceaux et pas un à jeter. Malgré le titre latino, Black Francis semble cette fois avoir davantage décliné ses racines nord-américaines. Il attaque côté farwest, épopée fantastique, par un instru de facture classique, baptisé "Cecilia Ann" (un nom à la 4AD pour un morceau bien loin des fumigènes Cocteau Twins). Retour au larsen ensuite avec "Rock Music", bref orage magnétique à tentation hardcore, qui conserve, en plus sale, l'aspect grosse cavalerie du premier mais nous replonge derechef dans l'univers pixien avec son chant crié, jappements domestiques venant de très loin vers l'aigu (une tendance en voie de disparition). "Velouria" fait la transition entre les albums précédents et celui-ci. C'est le maxi mais aussi la chanson parfaite, alliant le bruit subtil et la rythmique marteau à une mélodie limpide et accrocheuse. L'album se découpe ensuite en une alternance de ballade légères ("Ana", "Havalina"...) et de morceaux plus énervés ("Allison", "Hangwire") avec ici et là un titre plus déstructuré ("Is she weid"). Moins de dissonances, moins de rebondissements, les bostoniens suivent leur inspiration mais avec plus de calme et de bonhommie. Le sentiment d'urgence a disparu au profit d'une ambiance plus sereine qui a sans doute pour nom maturité. Tous les éléments ayant contribué à bâtir leur réputation sont réunis mais utilisés différemment : la basse est plus discrète, les guitares plus douces, les tempos plus enjoués, le son plus clair, Black Francis épure son chant (pas encore crooner pour autant) tandis que Kim Deal se livre à des choeurs beaucoup plus traditionnels (une sous-utilisation qui explique peut-être la naissance des Breeders). Bref l'ensemble donne beaucoup moins déjanté que par le passé mais gagne en solidité. Les Pixies semblent avoir travaillé autant sur les compositions que sur le son et les enchaînements ("Ana"/"All Over the World", "Hang Wire"/"Stormy Weather"). C'est carré, sans doute moins aventureux qu'un "Doolittle", mais "Bossanova" présente d'autres atouts et le charme des Pixies reste entier. Plus direct et plus facile d'accès, il devrait convaincre les hésitants sans décevoir les fans de la première heure.




Par José Guerreiro
Rock'n Folk, 1989

Je n'irai pas par quatre chemins: tout le monde devrait les aimer. Les amateurs de MC5 ou Plasmatics comme ceux plus friands des B 52's ou de Peter, Paul, And Mary, mais également tous les autres. Parce que Black Francis, songwriter de génie, est un joueur subversif qui transcende Iggy Pop, David Thomas (Père Ubu), Lou Reed and many more en les faisant entrer en collision. Si les Pixies étaient un groupe comme les autres, ce troisième album (deuxième et demi, en fait) serait celui de la maturité. Mais les Pixies ne ressemblent à rien ni a personne. Ils s'amusent comme des petits diables, mariant tout dans une mixture hautement addictive: le solide et le fluide, l'émerveillement et la terreur, Tom&Jerry et le Yeti. Avec un son de guitare inédit, mélange subtil de larsen et de feedback, et la magie des miroirs déformants comme griffes personnelles. Aux manettes, Gil Norton a succedé à Steve Albini (déjanté hardcore notoire) et, comme l'illustre "Debaser" d'entrée de jeu, le son s'en retrouve du coup plus offensif et compact (pas seulement agressif) que sur le précédent "Surfer Rosa", chef-d'oeuvre de brutalité et de béatitude squattant le Top 10 indie depuis plus d'un an. Côté lyrics, on peut penser que Black Francis partage l'opinion de Mao qui disait qu'une image vaut bien dix mille mots tant "This Monkey Gone To Heaven", "I Bleed", "Wave Of Mutilation" et les autres projettent des visions qui adhèrent sérieusement au subconscient. Dans un monde parfait, "Here Comes Your Man" (écrit à l'age de quinze ans, dixit son auteur), romance californienne assaisonnée à la guitare Shadows-isante, serait le tube de l'été trois années de suite. Dans un monde parfait, l'arsenic de "Dead", l'hystérie orgasmique de "Tame" ou la tristesse abyssale de "Hey" inonderaient la planète de leur beauté dangereuse. Dans un monde parfait, on saurait que les Pixies sont les meilleurs. Un groupe au dessus du rock et de ses cloisonnements poussiereux. Pour preuve, ces quinze titres extraordinaires passés au scanner sexuel.


 

Par José Guerreiro
Rock'n Folk, 1989

"Doolittle" ou l'album alternatif imparable par excellence, réussite majeure en 15 titres, 15 tubes, d'un groupe qui avait tout pour devenir énorme. "Doolittle", le disque crossover idéal de toute la famille rock, capable de réconcilier à lui seul les parents quadra en pleine crise de nostalgie surf musique, le grand frère pop anglaise, sa copine girl-just-want-to-have-fun et le petit dernier teigneux, amateur de hardcore surpuissant. A la fin des années 80, la folie Pixies s'est répandue comme une trainée de poudre. "Surfer Rosa", premier opus sorti de nulle part, avait suffi à les mettre sur orbite college radio, ce deuxième les enverra directement marcher sur la lune. Ces quatres bostoniens, menés à la baguette par leur leader bibendum Black Francis, pas démocrate pour deux sous, térrassèrent le monde en un rien de temps. Et pour cause: on n'avait pas entendu un tel sens de l'évidence mélodique depuis les Beach Boys débutants. Avec les Pixies tout est simple, clair comme de l'eau de roche. Des chansons idiotes racontent des histoires abracadabrantes de science-fiction 50's, trous dans le ciel et numérologie mystique, refrains épatants que l'on sifflote en voiture, sourire aux lèvres et autoradio à fond pour mieux profiter des accélérations terrassantes qui secouent sans crier gare le corps de ces pièces d'orfèvrerie musicale. De la power pop pied au plancher et totalement décomplexée qui se fout bien de savoir où elle va tant qu'elle prend son pied. Black Francis hurle dans son micro, hystérique mais jamais hargneux, la guitare amphétaminée et cristalline de Joey Santiago décolle au moindre riff et la basse chaloupée de Kim Deal, encore aux ordres de son tyrannique mentor, enveloppe le tout. Des hymnes simples et efficaces de deux minutes trente pas plus, dont la parfaite expression est certainement ce "Monkey Gone To Heaven" qui fit fortune. Avec de pareils titres, les Pixies pouvaient tout espérer, les stades, l'argent et la crédibilité rock en sus. Pourtant rien de ceci n'arriva. A force de mauvaise grâce et d'obsession dictatoriale, l'egomaniaque talentueux mais trop prétentieux Black Francis finit par emmerder tout le monde, a commencé par son groupe lui-même qui perdit au passage insouciance et légèreté. "Bossanova" l'album suivant, porteur de tous les espoirs, n'aura déjà plus la grâce, et la fusée Pixies explosera en plein vol apres un dernier "Trompe Le Monde".




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